Ecole à la maison : tout ou rien... sommes-nous punis par nos autorités ??
- Sendyloé
- 18 sept. 2020
- 9 min de lecture
Habitant en Suisse, dans le canton du Jura, nous faisons l'expérience de l'école à la maison depuis quelques temps. On s'est lancé dans cette aventure sans savoir à quoi nous attendre et on a fini par avoir quelques découvertes surprenantes.
Pourquoi on a décidé de faire l'école à la maison ?
En été 2019, on est parti pour un grand voyage qui devait devenir notre nouvelle vie pendant plusieurs années. On avait prévu un tour du monde en au moins deux ans, voire trois. Logiquement, pendant ce voyage, nous allions faire l'école nous-mêmes.
Comment faire la demande ?
Les règles sont différentes selon les canton, il faut bien vous renseigner pour connaître les conditions vous concernant à votre domicile. Pour nous, dans le canton du Jura, on doit envoyer une lettre recommandée à la commission d'école (avec copie au directeur), ainsi que remplir le formulaire "Demande d'enseignement en milieu privé" et le transmettre au SEN (Service de l'enseignement). Par rapport aux autres canton, ici dans le Jura c'est assez facile jusqu'à présent, on ne demande pas qu'un des parents soit enseignant par exemple, pratique courant dans d'autre régions de la Suisse. Par contre, on vient d'apprendre que cela risque de changer dans l'avenir et que l'autorisation pour scolariser son enfant à domicile pourra être plus difficile à obtenir.
Mais pour nous, l'année passée donc, tout semblait simple. En février 2019, on a bien envoyé la lettre à la commission d'école, ainsi que le formulaire au SEN sur lequel on doit expliquer les raisons de la décision, ainsi que les moyens qu'on compte utiliser pour respecter les objectifs du plan d'étude.
Quelle réponse des autorités ?
Quelques temps plus tard, on a reçu une réponse de la commission d'école qui disait juste qu'ils ont bien pris note de notre départ. Rien de la part du SEN. On trouvait cela surprenant, presque décevant. Peu de temps avant notre départ (en juillet 2019), plusieurs articles présentant notre projet ont paru dans des journaux locaux et l'un d'eux mentionnait qu'on était complètement dans le brouillard concernant l'école, qu'on n'avait aucune nouvelle. Très rapidement, une personne du SEN nous a téléphoné pour s'assurer qu'on a bien reçu la confirmation de la commission d'école et nous a informés qu'on n'allait rien recevoir d'autre. On verra la suite quand on rentrera. C'est tout. Au revoir, débrouillez-vous.
Ce qu'on aurait aimé recevoir
Très honnêtement, on pensait bénéficier d'un minimum de suivi pour nos enfants pendant notre voyage. On était très curieux de voir sous quelle forme ça allait se passer. On imaginait recevoir un document avec les objectifs (au moins en gros...) des années scolaires concernées, ainsi qu'une proposition de peut-être faire l'évaluation annuelle par correspondance. Parce que oui, les enfants scolarisés à la maison doivent quand même passer un test, une fois par année. On se demandait comment on allait organiser cela, en imaginant qu'ils allaient peut-être nous envoyer les exercices par e-mail ou quelque chose de ce genre... Au lieu de cela, on n'a rien reçu du tout. A l'école, ils ont dit qu'à notre retour, ils allaient mettre nos enfants dans la classe correspondant à leur âge et on verra s'ils suivent...
Pourquoi le SEN nous a-t-il rien envoyé ?
On pensait que le fait que je sois enseignante et justement des degrés de mes enfants, les avaient rassurés et ils se sont dit que j'avais tout ce qu'il fallait pour suivre le programme. Il y a peut-être un peu de cela, aussi. Mais on vient aussi d'apprendre très récemment qu'en annonçant un voyage, on nous a simplement sortis du système. Comme si on avait définitivement quitté la Suisse. L'inspectrice scolaire n'était même pas au courant de notre demande. Je vous rassure, ça ne se passe pas exactement de la même manière si on reste à la maison, mais je vous raconte cela un peu plus loin.
Après notre retour en Suisse...
Comme prévu, on a fait l'école avec les enfants nous-mêmes, parfois dans les appartements qu'on louait au Mexique, parfois dans le sable au bord de la mer ou encore dans notre camping car aux Etats-Unis.
Ce qui n'était par contre absolument pas prévu dans nos projets, c'est qu'une pandémie mondiale nous oblige à interrompre notre nouvelle vie. Personne ne pouvait prévoir cela. Après 7 mois de voyage et à notre grande déception, on a été obligés de rentrer en Suisse, en avril 2020. Pensant repartir dès qu'on pourrait, on a simplement fini l'année scolaire à la maison, sans rien annoncer à personne. Puisqu'on avait originalement annoncé l'absence de nos enfants pendant deux ans, on pensait continuer à la maison, sans changement... jusqu'à ce qu'on puisse repartir, sans savoir quand la situation dans le monde va nous le permettre.
Petit changement de programme
Nos deux enfants, même en étant jumeaux (de 10 ans à présent), sont très différents l'un de l'autre. Personnalité, caractère, méthode d'apprentissage... tout est différent. Après cette expérience d'une année, on a constaté deux choses :
Notre fils accepte facilement de travailler avec moi et il progresse très vite. Il travaille bien mieux de cette manière, à son rythme, qu'auparavant à l'école. L'école à la maison lui convient très bien.
Notre fille a plus de mal de m'accepter en tant que maîtresse. Elle apprécie le cadre officiel de l'école, être avec ses copines, avoir un « vrai » prof... L'école lui convient mieux.
Après beaucoup de réflexion et de discussion avec les deux enfants, on a finalement décidé de les séparer et de renvoyer notre fille à l'école, tout en continuant à la maison avec notre fils. J'ai informé l'enseignant, ainsi que le SEN de ce changement.
Réaction du SEN
La première réaction du SEN était de nous demander de remplir le formulaire pour la scolarisation à la maison à nouveau. En expliquant que cela a déjà été fait l'année passée, ils ont repris le dossier et ils nous ont « remis dans le système ».
Qu'est-ce qui se passe après une annonce de scolarisation à la maison ?
Depuis ce moment-là, on est traité comme n'importe quelle famille jurassienne qui déciderait de faire l'école à la maison. Premièrement, on a eu une visite à la maison de l'inspectrice scolaire, Mme Inglada. C'est une femme très sympathique et compétente qui essaie de s'assurer que la scolarité des enfants se déroule au mieux... Mais comme elle est seule pour tout le canton, ce n'est pas évident. Pour notre part, on a passé une matinée très agréable et constructive avec elle. Autant on craignait cette rencontre avant, autant on a été rassurés après. Quelques jours après la visite, elle envoie une autorisation officielle de faire l'école à la maison. Dès lors, il n'y a plus aucun suivi jusqu'au printemps prochain.
Tout ou rien : la punition des parents qui décident de faire l'école à la maison
Quand on décide de s'occuper soi-même de la scolarité de son enfant, on a vite l'impression d'être puni. Comme si le canton disait : vous l'avez voulu alors débrouillez-vous. Je m'explique. En Suisse, l'école met à disposition des élèves tout le matériel nécessaire : livres, cahiers et même crayons, gomme, règle, compas etc etc... tout, quoi ! Les parents n'ont besoin de – presque – rien dépenser pour l'école. Si vous décidez de faire l'école à la maison, vous n'aurez rien. Vous n'aurez pas les livres, pas de fiches, même pas un document pour connaître les objectifs à atteindre ou quoi que ce soit qui vous aiderait à suivre le programme. « Vous l'avez voulu, débrouillez-vous. » Ils ne le disent pas comme ça, bien sûr, mais c'est ce qui arrive. J'ai la chance d'être enseignante et de connaître le programme. Mais je me demande vraiment comment font les autres parents ? Il peut y avoir plein de raisons différentes pour qu'on arrive à la décision de faire l'école à la maison. Je ne comprends pas pourquoi on ne reçoit pas plus d'information et d'outils de la part des autorités scolaires pour que tout se passe bien pour l'enfant.
J'ai aussi constaté autre chose. Quelque chose qui, franchement, me déçoit beaucoup. On a essayé de demander que notre fils soit intégré partiellement à l'école. Je ne voyais aucun problème, au contraire. Il travaille mieux à la maison, c'est clair, mais pour le côté socialisation je pense que ça lui ferait beaucoup de bien de pouvoir partager quelques activités comme la gym, le dessin, la musique... avec d'autres enfants. En même temps, cela faciliterait une sorte de « surveillance » ou de suivi de la part de l'école. Parce que logiquement, ils doivent quand même s'inquiéter un peu de ce qu'on fait à la maison, non ? L'élève coûterait moins cher au canton que s'il était scolarisé normalement et côté organisation il n'y aurait pas de problème non plus, vue tous les enfants qui sont dans un cursus spécialisé et qui sont partiellement intégrés dans une classe normale. Ce serait pas différent pour l'école. Pour moi, c'était clair : ce serait utile et profitable aussi bien pour l'enfant que pour l'école. A ma grande déception, la réponse est un non catégorique : la loi ne le permet pas. On revient à la punition : « vous l'avez voulu... donc vous n'aurez rien du tout ».
Comme tous parents, je voudrais offrir à mes enfants ce qu'il y a de mieux pour eux. Avec mon mari, on cherche la meilleure façon de les éduquer et de nous assurer qu'ils aient accès à ce qu'il y a de mieux pour chacun d'eux. Notre fils réussi bien mieux en travaillant à la maison qu'à l'école. C'est aussi important pour la confiance en soi, l'estime de soi, la motivation, qui étaient fortement mises à l'épreuve pendant ses premières années à l'école. Mais notre but n'est pas de le retirer de la société et de le priver de moments de jeu et de partage avec des copains. Au contraire : il doit jouer avec d'autres enfants, il doit apprendre les règles et attentes de la société. Malheureusement, l'école lui refuse ce droit, du moment qu'il ne la fréquente pas à temps complet. Je trouve ça injuste. Ça me fait mal au coeur pour ce petit garçon qui rêve de visiter la classe et d'être avec d'autres enfants de son âge. Bien sûr, on essaie de lui trouver des occasions pour compenser ce manque. En plus des copains qui viennent jouer chez nous de temps en temps, il va aussi faire la gym ici dans notre village et aussi à Porrentruy. C'est mieux que rien. Il est content et il adore y aller ! Mais je dois avouer qu'en tant que maman, je suis déçue de voir que suite à notre décision de le garder à la maison, il se retrouve coupé de tout soutien de la part de l'école.
Une évaluation en fin d'année scolaire
L'inspectrice scolaire nous a informés, lors de sa visite, qu'une évaluation est organisée chaque année pour les enfants scolarisés à la maison. On a appris qu'il y en a une quinzaine dans le canton et que lors de cette évaluation, ils se retrouvent tous dans une classe d'école pour un après-midi de test. Il est bien sûr impossible d'évaluer les objectifs d'une année en seulement quelques heures et en plus, certains enfants peuvent être intimidés par ce cadre dans lequel ils n'ont plus l'habitude de travailler... dans une salle de classe, avec d'autres enfants et adultes surveillants inconnus. On peut éventuellement observer leur manière de travailler, mais cela ne suffit certainement pas pour s'assurer de l'acquisition des objectifs. Personnellement, je pensais devoir faire passer des tests bien plus conséquents, à la maison, dans l'environnement où l'enfant se sent en sécurité. Ce n'est pas le cas et finalement, ça ne tient qu'aux parents de s'assurer que leur enfant ait bien appris tout ce qu'il devait apprendre. Au mieux, il aura de l'avance par rapport à son âge, au pire, il aura des grosses difficultés le jour où il revient dans le système scolaire. Je veux dire, dans une « vraie » école.
L'école à la maison a des coûts...
J'ai essayé de trouver combien coûte un élève de l'école primaire à la confédération / au canton / à la commune. J'ai du mal à trouver une réponse concrète, mais j'ai quand même trouvé un ordre de grandeur.
De toute façon, je pense qu'on peut admettre qu'en retirant un enfant de l'école, on économise de l'argent au canton. Peut-être quelques milliers de francs en une année. Même sans connaître le montant exact dans le Jura, je sais que chaque élève a un coût. Mon fils ne coûte rien à la société actuellement. Par contre, nous, on devra payer env. 300.- francs pour un après-midi d'évaluation. Je comprends ça de la manière suivante : merci de nous économiser de l'argent, mais puisque notre système ne vous convient pas et que vous voulez faire les choses autrement, sans suivre la majorité, c'est l'occasion de vous faire payer encore plus. C'est mon sentiment, je ne sais pas ce que pensent les autres familles dans la même situation.
Comment aider les familles qui font l'école à la maison ?
Puisque le canton ne fait pas grand chose pour ces familles, je me demande ce qu'on pourrait proposer pour faciliter la tâche des parents qui décident de retirer leurs enfants de l'école. Je pense que ceux qui l'ont déjà fait doivent se débrouiller, mais il y en a peut-être qui hésitent et qui ne se sentent pas assez soutenus pour faire le pas. Certains ont peut-être peur de ne pas connaître le programme et les objectifs et ne se lancent pas alors qu'ils en auraient envie.
Dites-moi ce dont vous auriez besoin
Personnellement, j'ai pensé aux documents suivants qui peuvent être très utiles :
objectifs à atteindre dans chaque discipline
programme annuel découpé en semaines
éventuellement, quelques fiches et exercices de math et français
Y a-t-il d'autres choses qui vous viennent à l'idée ?
J'avais aussi pensé qu'on pourrait former une sorte de « club » entre familles pour partager notre expérience, nos soucis, nos idées, pour avoir des repères pour l'avancée des enfants, mais aussi pour juste nous soutenir et nous entre-aider. En même temps, les enfants pourraient profiter de passer du temps ensemble : jouer, faire du sport, de la musique, de la peinture etc... Je crois que ça leur ferait du bien aussi de pouvoir discuter avec d'autres enfants qui partagent leur situation.
Qu'est-ce que vous en pensez ?? N'hésitez pas à me contacter si comme nous, vous faites l'école à la maison et que vous voudriez partager votre expérience, mais aussi si vous avez besoin de soutien pour vous lancer.

Joli texte! je partage volontiers sur ealmsr.ch et sur les réseau Romand moins bien fourni sur le Jura en possibilité de rencontres si jamais.
Debi